Il est amusant de voir comment un virus a changé la perception du télétravail, même dans ces entreprises adulées de la Silicon Valley qui, encore récemment, vantaient leurs bureaux en « open space ». Si le travail à distance va certainement rester plus fréquent qu’avant la pandémie, ce serait une erreur de croire qu’il permettra aux entreprises de réduire leurs coûts.
Une étude de Global Workplace Analytics a montré qu’un employeur pouvait économiser jusqu’à 11 000 dollars par employé travaillant à distance six mois par an. Parmi les contributeurs les plus évidents à ces économies, on trouvait la réduction des surfaces de bureau et des consommables, et une baisse des frais de missions et réceptions. Certaines sociétés ont même innové en matière de rémunérations, en ajustant les salaires des employés qui télétravaillaient depuis des états où le coût de la vie était plus faible. Ces économies devraient permettre de compenser largement les investissements nécessaires dans l’infrastructure informatique ou les logiciels collaboratifs. De nombreux acteurs de la technologie, comme Twitter, Facebook, Zillow et Square ont ainsi promis à la plupart de leurs employés de les autoriser définitivement à travailler à domicile sans limitation s’ils le souhaitaient.
Nous serions toutefois surpris que ces décisions radicales soient maintenues dans la durée. Le travail à distance offre certes une flexibilité appréciée des salariés, mais ses coûts indirects pourraient être très supérieurs aux économies réalisées. La sécurité est le premier sujet compte-tenu de l’explosion des cyber-attaques et, même si les sociétés investissent dans les protections nécessaires, elles auront moins de contrôle sur la manière dont leurs recomandations sont appliquées. Les politiques de confidentialité des données seront aussi plus difficiles à mettre en œuvre au domicile des salariés que dans des espaces de bureau à l’accès contrôlé. Dans certains pays, les accidents domestiques ou les « burn-out » pourront donner lieu à des procès sans fin en vue d’une requalification en accidents du travail. Les frais juridiques risquent donc de s’envoler pour les entreprises. Enfin, nous pensons que la productivité finira par se dégrader. Si les salariés en télétravail restent probablement connectés plus longtemps puisqu’ils ne perdent pas de temps en transport, leur concentration n’est pas du même niveau s’ils sont interrompus par les enfants, ou ne sont plus exposés à l’effet d’entrainement en voyant l’engagement de leurs collègues. Pire encore, les sociétés risquent de perdre les atouts du partage d’expérience et de la réflexion collective, tout en laissant leur identité se diluer petit à petit.
Le télétravail a clairement des avantages, mais il ne doit pas être considéré comme une solution permanente, ni comme une source majeure de réductions de coûts. Nous ne serions pas étonnés que ses fans de la première heure reviennent vers un bon vieil espace de bureau après quelque temps.
ALF – 12 février 2021